Pour que le droit à la déconnexion ne soit plus imposé par des applications digitales, les entreprises doivent mettre en place un management basé sur la confiance. Favoriser le développement du télétravail et la flexibilité dans l’organisation des journées de chacun permettra de tendre vers plus de bien-être pour les salariés.
A l’ère du digital, le droit à une vie après le travail s’impose comme une nécessite. Mais forcer la déconnexion n’est pas la solution.
Consulter ses mails professionnels depuis son lit le soir ou au contraire, gérer des impératifs personnels depuis son lieu de travail, quoi de plus banal ? Avec l’essor des ordinateurs portables, tablettes et autres smartphones, la frontière entre vie professionnelle et vie privée est devenue poreuse. Le phénomène porte même un nom : le blurring, de l’anglais « to blur » : brouiller, flouter. Cette pathologie des temps modernes touche principalement les cadres. Près de 80% sont ainsi sollicités par leurs supérieurs une fois rentrés chez eux tandis que 33% culpabilisent lorsqu’ils se déconnectent le soir ou le week-end. Comme si une coupure nette pouvait avoir des conséquences néfastes pour leur carrière.
Hyperconnexion anxiogène
La pression psychologique et l’exigence de disponibilité permanente ne sont pas sans conséquence sur la santé des employés. Anxiété, stress chronique, troubles du sommeil et de la concentration sont les manifestations les plus fréquentes de ce fardeau digital. En 2016, 82% jugeaient anxiogène cette connexion quasi-permanente. Plus grave encore, les cas de burn out ont été multiplié par sept depuis 2015. On comptabilise actuellement entre 200 000 et 500 000 personnes souffrant de ce syndrome d’épuisement professionnel.
Pourtant, la France a été le premier pays au monde à légiférer sur la question. Pour protéger la santé des employés du secteur privé, le droit à la déconnexion a été intégré au Code du travail le 1er janvier 2017. Il oblige les entreprises de plus de 50 salariés à aborder cette question à l’occasion des négociations annuelles obligatoires mais ne prévoit aucune sanction en cas d’absence d’accord ou de non -respect de cet accord.
Outils digitaux pour forcer la déconnexion
Ainsi, les solutions proposées par les entreprises sont encore peu répandues et souvent bien dérisoires. Selon une enquête Opinion Way (2018), seules 16 % ont élaboré des règles de déconnexion qui, bien souvent, passent par la mise en place d’outils digitaux. Sans y voir le paradoxe, certains dirigeants d’entreprises forcent leurs employés à se déconnecter en se payant les services de start-up comme Calldoor ou Mailoop qui proposent le trackage des mails envoyés hors des horaires de travail, le blocage de l’accès aux messageries professionnelles ou encore l’effacement automatique des mails reçus lors des congés.
Cette politique de déconnexion forcée est contreproductive. Elle empêche la tenue de réunions entre collaborateurs installés sur différents fuseaux horaires, contraint les salariés à boucler leurs dossiers à la hâte chaque soir et pénalise ceux qui voudraient s’occuper de leurs enfants entre 16 heures et 19 heures avant de se reconnecter pour finir le travail de la journée. Couper le serveur à certaines heures selon la logique primaire de “débrancher la prise” revient à appliquer un pansement plutôt qu’à poser un diagnostic de fond.
Des managers plus à l’écoute
La vraie source du problème se trouve dans la sur-sollicitation des employés. Rappelons que ce n’est pas l’outil qui contraint le collaborateur à rester connecté, mais bien la peur des conséquences s’il ne le fait pas. Pour que le droit à la déconnexion ne soit plus imposé par des applications digitales, les entreprises doivent mettre en place un management basé sur la confiance. Favoriser le développement du télétravail et la flexibilité dans l’organisation des journées de chacun permettra de tendre vers plus de bien-être pour les salariés.
Il est nécessaire que les responsables hiérarchiques apprennent à fixer des objectifs réalisables à leurs collaborateurs pour que ceux-ci ne soient pas obligés de travailler le soir ou le weekend. Qu’ils apprennent à mesurer la différence entre la charge réelle de travail et celle ressentie par chacun. Qu’ils soient plus à l’écoute pour mesurer la pression exercée sur leurs équipes. Alors les salariés s’autoriseront à déconnecter… sans l’aide de règles juridiques ou d’outils numériques.
©Apolline Rochambleu (Convictions RH)