Selon Thibaud Brière, philosophe de l’entreprise, la dématérialisation du travail qu’accélère le distanciel devrait apporter plus d’autonomie, de responsabilités et de pouvoir aux salariés. Les organisations y trouveront leur intérêt.
Comment analysez-vous, en tant que philosophe d’entreprise, la généralisation actuelle du télétravail ?
Dans un livre à paraître (1) co-écrit avec Caroline Del Torchio, consultante RH, nous traitons des enjeux philosophiques du télétravail. Notamment du changement de paradigme qu’entraîne sa généralisation. À cet égard, il faut être attentif à la question de la distance et de la dématérialisation.
Le télétravail n’est qu’une modalité du travail à distance, que nous pratiquons depuis déjà longtemps. Le travail réel a été mis à distance par ceux que la sociologue Marie-Anne Dujarier appelle les “planneurs”. Des “consultants ou des cadres mandatés pour améliorer la performance au moyen de plans abstraits, élaborés bien loin du terrain”. Ainsi processé et normé, le travail réel a été mis à distance. Or, dans la mesure où le télétravail s’effectue via des communications dématérialisées, il accélère ce processus de désincarnation du travail.
Le premier pas a été de mettre le travail à distance de soi. En management, on a longtemps recommandé de ne pas faire d’affect et de ne pas laisser de place aux émotions. Puis les cadres ont été mis à distance du travail réel, en le commandant depuis l’arrière. Et ce qui m’est apparu, c’est que le télétravail est l’aboutissement de la dématérialisation à laquelle nous assistons depuis 20 ans. Mais il vient apporter du positif dans tout ce tableau morose.
Dématérialisé, le travail se retrouve délié de certaines limitations de temps et d’espace. Le télétravail répond à l’ancienne aspiration des hommes à se délivrer de la matière, conçue comme limitatrice de leurs libertés. Ce que manifeste notre société du sans contact, c’est notre envie de nous libérer de nos corps pour n’être que de purs esprits. Et le télétravail en est l’un des signes.
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