Pour aborder la souffrance au travail et les pratiques managériales, Santé & Travail ont organisé un webinaire le 14 juin dernier, avec la participation de Stéphane Brizé, réalisateur du film « Un autre monde », d’Anne Serça-Tassy, médecin-inspectrice du travail et auteure du roman « Un si petit compromis », de Pierre-Yves Gomez, professeur de stratégie à l’EM Lyon business school, et d’Ilma Choffel de Witte, épouse d’un cadre de La Poste qui s’est suicidé et pour lequel elle a obtenu la condamnation du groupe pour faute inexcusable de l’employeur.
Lors de ce webinaire, nous avons pu découvrir 3 cas de souffrance au travail, dont 2 fictifs.
Cas n°1 : « Un si petit compromis », le roman de Véronique Tassy
Dans son roman « Un si petit compromis », Véronique Tassy, médecin inspecteur du travail, relate des faits réels rapportés lors de consultations. Pour lui, il y a une certaine absurdité liée à notre culture de protocoles à outrance. Les salariés sont tellement focalisés sur leurs objectifs en enchaînant les heures supplémentaires.
De ce fait, il y a une impossibilité de traiter véritablement de la souffrance au travail ou même d’identifier l’origine des dysfonctionnements. Finalement, les problèmes d’éthique s’accumulent et mettent à mal de manière consciente et inconsciente. Selon Veronique Tassy, il vaut mieux avoir des recommandations que des protocoles.
D’ailleurs, la médecine du travail alerte sur le fait que les chiffres liés à l’augmentation des RPS sont alarmants. Cependant, elle n’a pas vraiment le pouvoir d’agir directement au sein des entreprises. Par exemple, un médecin inspecteur peut émettre un point de vigilance à un inspecteur du travail. Suite à cela, il peut y avoir un audit, sans forcément, observer la mise en place d’actions pour améliorer les conditions de travail. Il faut renforcer les moyens de prévention, car les outils actuels (numéros verts, affiches, prospectus, etc..) ne sont pas suffisants.
Véronique précise qu’il en va de même pour les teams building étant donné que les salariés sont toujours en compétition. Cette solution semble assez artificielle à la différence de la mise à disposition d’une salle de pause où les collaborateurs sont libres de s’exprimer et de se détendre librement.
Cas n°2 : « Un autre monde », le troisième volet de “la trilogie sur le monde du travail”
Le monde de l’entreprise est très peu représenté au cinéma. Lors de ces deux précédents films, la « Loi du Marché » et « En Guerre », Stéphane Brizé posait sa caméra sur les salariés du monde industriel. Pour rappel, la « Loi du Marché » retrace l’histoire d’un chômeur de longue durée qui doit accepter un travail ethniquement ingérable.
Dans le film « Un Autre Monde », c’est un questionnement assez similaire à la « Loi du Marché » mais sur une zone de responsabilité différente. Il s’intéresse au point de vue d’un cadre supérieur, directeur d’un site industriel fabriquant des pièces détachées dans le secteur de l’électroménager. Ce film nous présente le fonctionnement actuel des entreprises qui n’épargne pas la santé mentale des responsables et des encadrants. Pour réaliser ce film, Stéphane Brizé a consulté une cinquantaine de cadres en entreprise pour comprendre leur situation, leur état d’esprit et le management de leurs entreprises. Le film est alors très détaillé et ultra réaliste avec des termes managériaux extrêmement précis.
C’est compliqué de confier sa fragilité en étant manager, car c’est comme avoir un pas vers la porte de sortie. Quelque chose qui n’est pas dit n’existe pas. Le quotidien personnel est fracassé par les doutes et les angoisses du travail. Ce film n’aurait pas existé il y a 20 ans ou 30 ans.
NB : « Un Autre Monde » sort le 21 juin 2022 en DVD et dans le bonus, il y aura une interview de Christophe Dejours psychologue.
Cas n° 3 – Suicide d’un salarié de La Poste : le cas d’une faute inexcusable de l’employeur
Ilma Choffel raconte l’histoire de son mari Nicolas directeur de la communication chez La Poste qui fait un burn out en janvier 2013 et met fin à ses jours le 13 février 2013. Elle nous raconte les circonstances qui ont mené à ce drame.
D’un côté, nous avons le responsable N+1 de Nicolas qui a une approche « marche ou crève ». De l’autre côté, nous avons le N+2 qui est influençable. De ce fait, il était difficile pour ce dernier de prendre des décisions, donc le travail est à refaire indéfiniment au sein du service.
Selon des témoignages, ce N+1 « montait les collaborateurs les uns contre les autres », « voulait étendre son pouvoir au détriment des autres personnes »… C’est d’ailleurs à cause de lui que le précédent manager de Nicolas a quitté son poste pour dépression. Mais, les changements du manager ont été maigres et la charge de travail n’a pas diminué.
Selon Ilma, c’est le dialogue social qui a tué Nicolas. Beaucoup de suicides à La Poste qui sont restés sous le radar. En outre, Nicolas avait subi une forte perte de poids soit 20 kg. L’entreprise a été condamnée sur la base de cette information, car la Cour a estimé que l’entreprise ne pouvait ignorer la mise en danger de Nicolas et l’a condamnée pour faute inexcusable de l’employeur.
Les managers ne se plaignent pas. Pour certains managers, ce se serait avoué de ne pas être à la hauteur, et par conséquent se tirer une balle dans le pied ou encore être extrêmement isolé.
Selon Pierre-Yves Gomez, professeur à l’EM business school de Lyon, nous vivons dans un système pervers.
Depuis 2010, il y a une aggravation de la souffrance au travail dû à la digitalisation. Ces nouveaux processus facilitent le travail, mais ils rendent les cadres vulnérables à cause de l’immédiateté attendue de la tâche. Depuis la crise sanitaire, il y a aussi une crise du « sens du travail » :
- Ceux qui se mettent à l’abri et qui ne sont pas satisfaits de ce qu’ils font.
- Ceux qui essayent, mais qui courent après le temps et les moyens sans jamais y arriver. C’est l’impérissable impossibilité de bien faire, le sentiment de ne pas aller au bout de ce qu’on voudrait faire.
Ces dernières années, le nombre de burn out en milieu professionnel ne cesse d’augmenter. L’employeur est aujourd’hui invité à être plus vigilant et mettre en mesure des actions concrètes pour améliorer les conditions de travail.
Source : https://www.sante-et-travail.fr/webinaire-souffrance-travail-managers
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