Dans notre précédent carnet de recherche, nous avons exploré l’impact des Troubles MusculoSquelettiques à travers les pays européens. Nous avons conclu qu’on pouvait aborder la question sous l’unique angle de l’imputation des maladies à des causes professionnelles. Dans ce premier cas, les pays européens ne sont pas tous égaux : les pays disposant d’une liste de maladies dont les origines sont a priori imputables à des causes professionnelles (comme la France), reconnaissent plus facilement les maladies professionnelles.
Si on aborde cette même question de l’impact sous l’angle du symptôme pour le travailleur et des retentissements sur le travail (défaillance, absentéisme, désinsertion professionnelle..), on se rend compte que l’ensemble des pays européens sont touchés. En effet pour l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail (2013), 25% des travailleurs se plaignent de lombalgie et 23% de douleurs musculaires. Et l’enquête Eurofound (2016) démontre des données plus alarmantes encore, puisque environ un salarié européen sur deux se plaindrait de douleurs au niveau des cervicales, des épaules, ou de lombalgies. Enfin, Roquelaure (2018) indique que les travailleurs âgés sont particulièrement vulnérables, « du fait d’un vieillissement prématuré des tissus et des effets différés des contraintes biomécaniques accumulés au fil du parcours professionnel ».
La CARSAT (2017) indique qu’en France, les TMS représentent 87% des maladies professionnelles, pour un coût de 2 milliards d’euros pour les entreprises. Ce coût est correspond à la part des cotisations AT/MP au titre des TMS.
Le taux AT/MP, c’est-à-dire le coût par salarié de la cotisation Accident de Travail et Maladie Professionnelle, est calculé en France selon plusieurs critères, liés notamment à l’effectif et au secteur d’activité :
– Les entreprises de moins de 20 salariés appartenant au même secteur d’activité, cotisent selon un taux collectif, qui est calculé selon la sinistralité du dit secteur. Ainsi, plus la sinistralité est important pour un secteur d’activité donné, plus, pour l’ensemble des entreprises de moins de 20 salariés de ce secteur, le taux AT/MP collectif sera important,
– Les entreprises de 20 à 149 salariés cotisent selon un taux AT/MP mixte. Ce taux est calculé à la fois à partir de la sinistralité du secteur (comme les entreprises de moins de 20 salariés) et en fonction de leur propre sinistralité. Ainsi, lorsque la sinistralité individuelle d’une telle entreprise baisse, son taux AT/MP est révisé également à la baisse. Si la sinistralité du secteur d’activité croît, le taux AT/MP de l’entreprise croît également,
– Enfin, les entreprises de 150 salariés et plus cotisent selon un taux AT/MP strictement individuel. C’est-à-dire que leur cotisation AT/MP est calculée uniquement en fonction de leur sinistralité propre.
Pour autant, évaluer le coût des TMS au seul critère de la cotisation AT/MP, c’est-à-dire en fonction du coût direct, semble une approche trop globale et peu représentative de la réalité.
Par exemple, dans un article de 2005, Aptel et Aublet-Cuvelier indiquent que les maladies du tableau 57 du régime générale (affection péri articulaires provoquées par certains gestes et postures de travail) sont celles qui représentent le plus de TMS. Parmi ces affections caractérisées, les TMS de l’épaule sont ceux qui progressent le plus : 29% du total des maladies professionnelles en 2002, contre 19% en 1997. Effectivement, les TMS de l’épaule sont les TMS qui coûtent le plus cher aux entreprises, en coût direct (26 289€ en moyenne, contre 13 889€ en moyenne pour l’ensemble des maladies du tableau 57, et 7 880€ pour le syndrome du canal carpien). Mais plus encore, les TMS de l’épaule aboutissent 1,5 fois plus souvent à un Incapacité Partielle Permanente (IPP) que les autres maladies du tableau 57. Et ils occasionneront en moyenne 263 jours d’arrêt, contre 187 pour les autres affections du tableau 57.
Les coûts liés à l’absentéisme, au remplacement des salariés (intérim, recrutement en CDI…), aux licenciements pour inaptitude, aux aménagements de postes pour les personnes en situation de handicap suite à un TMS, à la reconversion de ces salariés qui ne peuvent plus effectués leur travail… sont regroupés dans les coûts indirects.
L’évaluation des coûts indirects est plus difficile car elle est tributaire de beaucoup de paramètres : la culture de l’entreprise et ses capacités à aménager les postes de travail, à son organisation et à sa capacité à faire face aux absences (production en tension, ou présence de stock…)… La CARASAT évalue les coûts indirects à entre 2 et 7 fois les coûts directs.
Par ailleurs, une entreprise faisant face à beaucoup de TMS pourra rencontrer des difficultés à recruter des personnes qui pourraient être réticente à l’idée d’occuper un poste jugé trop pénible. Et un taux de TMS élevé ne facile pas souvent le dialogue avec les partenaires sociaux. Tous ces coûts liés à l’image sont appelés les coûts stratégiques. Leur évaluation est encore plus difficile, car à des indicateurs financiers s’ajoutent des indicateurs qualitatifs.
Comme nous pouvons le voir, la seule approche comptable est insuffisante pour évaluer l’impact des TMS sur les entreprises. Ce qui renforce l’idée de l’intérêt pour les entreprises, quel que soit leur taille, de prévenir l’apparition des TMS.