Dans la continuité de nos recherches portant sur les mécanismes étiologiques liant les Troubles MusculoSquelettiques aux Troubles PsychoSociaux, nous poursuivons notre travail d’exploration autour des modèles d’explications et d’intervention des TMS. Et dans le cadre de ce travail, il nous a semblé pertinent de nous intéresser à une approche plus cognitive des TMS, qui se centre sur l’apprentissage et l’automatisation du geste.
L’automatisation du geste a pour objectif la diminution de l’énergie nécessaire à sa mobilisation, la rapidité dans sa mise en œuvre par une forme de « déconscientisation » de sa planification et surtout la définition d’un geste efficace. Nous devons encore nous interroger sur les critères permettant de jauger de cette efficacité, mais là ne sera pas le propos. L’automatisation du geste s’obtient par une phase d’apprentissage procédant par des répétitions et une sélection, au niveau cérébral, du « geste optimal ».
Le site internet www.physiologie.staps, il est possible de consulter des cours de physiologie du sport. Ce champ d’étude s’est intéressé notamment à la naissance et à l’apprentissage du geste sportif, appelé « geste optimal ». On y apprend que le geste sportif est composé de plusieurs chaînons de mouvements qui peuvent impliquer plusieurs segments corporels afin de réalisé un geste efficace et le moins énergivore possible. Ces différents chaînons qui composent le geste, sont répertoriés dans différentes aires corticales selon qu’ils impliquent le bras, où des ajustements posturaux fins pour assurer l’équilibre etc. Adams (1971) émettait la théorie de la rétroaction : c’est-à-dire que le geste doit permettre, au cours de sa réalisation, des feed-back au niveau du cerveau qui contrôle sa bonne exécution.
La physiologie du sport montre que l’apprentissage du geste sportif vise l’automatisation. Un geste automatique est plus rapidement mobilisable, il est moins énergivore… Cette automatisation se réalise grâce à la plasticité cérébrale et à la réunion, en une seule aire corticale, de l’ensemble des chaînons qui composent le geste. En d’autres termes, le geste non automatisé mobilise plusieurs aires du cerveau, pendant que le geste automatisé n’en sollicite qu’une seule. Ces données sont observables au moyen d’un IRM fonctionnel, comme le montre l’illustration ci-dessous. La naissance du geste optimal nécessite un apprentissage par répétition. Au cours de cette phase d’apprentissage, le cerveau va peu à peu éliminer tous les gestes parasites. Le sportif atteint une plate-forme de performance durant laquelle il stabilise son geste optimal.
En neuropsychologie, Costini (2014) définit une différence entre « la coordination motrice » et « les praxies ». Elle explique que le terme grec « praxis » (πρᾶξις) signifie action. Une praxie est une capacité à planifier, organiser et exécuter des gestes. Il s’agit d’une activité motrice finalisée, opérationnalisée et automatisée. Les praxies sont un répertoire de gestes automatisés et prêts à être utilisés, fruit d’un apprentissage implicite ou explicite, culturellement situé. Il en résulte de cet apprentissage une inscription cérébrale à la fois du geste et de sa préparation. L’enchaînement moteur qui définit le geste est regroupé au sein d’un seul répertoire cérébral, ce qui réduit l’énergie nécessaire à sa mobilisation.
Bourgeois et Hubault (2005) décrivent les mécanismes d’apprentissage et d’automatisation du geste comme itératifs : c’est-à-dire qu’un geste professionnel n’est pas un acquis, mais une construction dynamique. A chaque reprise du travail, l’opérateur aurait besoin d’un certain nombre de répétitions pour accéder à un pallier de performance, où le geste permet d’atteindre des objectifs de production (quand ceux-ci sont réalistes) et de sauvegarder la santé du professionnel.
Le parallèle avec le geste optimal du sportif se fait naturellement. Le pallier de performance dont parlent Bourgeois et Hubault (2005) ressemble à la plate-forme du geste optimal du sportif. Le sportif, comme l’opérateur, auraient donc besoin d’un temps d’adaptation, de préparation, pour atteindre ce pallier de performance. Dans le cadre de l’activité sportif, ce temps de préparation s’appelle l’échauffement.
Cette approche des TMS est pertinente non seulement par son contenu, mais également parce qu’elle mobilise des données de physiologie cérébrale et des données issus de l’ergonomie. Elle montre que les TMS sont des affections qui revêtent plusieurs facettes et nécessitent, de la part de celui qui veut les étudier et les prévenir, d’aller rechercher des savoirs dans plusieurs disciplines. Ce sera l’objet de notre prochain carnet de recherche où nous tenterons de réaliser une synthèse visant à mettre en congruence les différents éléments que nous vous avons proposé jusqu’à présent, avec l’idée non pas de définir un modèle étiologique universel des TMS, mais de comprendre pourquoi l’existence de plusieurs modèles est importantes.
Par Cyril Vignier