Usure professionnelle : définition, nouveautés réglementaires et prévention
Bien qu’elle ne bénéficie pas d’une reconnaissance « légale » au sens strict, l’usure professionnelle se fait de plus en plus entendre dans une conjoncture économique stressante et un contexte marqué par le culte de la performance.
Loin d’être un phénomène isolé, l’usure professionnelle reflète un réel enjeu de société, matérialisant le coût (humain et économique) parfois lourd des conditions de travail inadéquates. Il est urgent de comprendre ce concept, d’en identifier les facteurs déclenchants et d’appréhender les moyens de prévention afin de préserver le bien-être et la productivité des collaborateurs. Décryptage…
Qu’est-ce que l’usure professionnelle ?
Le concept de l’usure professionnelle peut être défini de manière globale comme l’érosion de la santé physique et mentale d’une personne résultant de conditions de travail difficiles ou inadaptées.
Dans un premier temps, il faut aborder la nature de l’usure au travail qui est multifacette. Elle comprend à la fois des éléments physiques (comme les troubles musculosquelettiques ou les maladies chroniques), psychologiques (comme le stress, l’épuisement professionnel ou le burn-out), et cognitifs (les problèmes de concentration ou de mémorisation). Ces différents types d’usure peuvent interagir et se renforcer mutuellement.
D’un point de vue chronologique, il faut distinguer entre l’usure aiguë, qui se manifeste rapidement suite à une situation de travail exceptionnellement difficile, et l’usure chronique, qui s’accumule lentement mais sûrement au fil des années. Cette dernière forme est particulièrement préoccupante, car elle peut rester invisible pendant longtemps et déboucher sur des problèmes de santé graves et irréversibles.
Ensuite, il faut considérer l’usure professionnelle dans une perspective systémique. Elle n’est pas seulement le résultat de facteurs individuels (comme la vulnérabilité personnelle ou l’inadéquation des compétences avec le travail demandé), mais aussi de facteurs organisationnels et sociétaux. Ainsi, une mauvaise gestion des ressources humaines, un rythme de travail effréné, des horaires atypiques, un manque de reconnaissance ou de soutien et une forte pression de la performance peuvent tous contribuer à l’usure au travail.
Les causes et les facteurs aggravants de l’usure professionnelle
Il faut distinguer les différents facteurs de risque de l’usure professionnelle pour mettre en place des actions de prévention efficaces. On compte généralement trois groupes de causes : les facteurs individuels, les facteurs organisationnels et les facteurs liés au travail.
#1 Les facteurs individuels
On parle ici de l’âge, du sexe, du niveau de formation, de l’état de santé général, des compétences et du niveau de résilience face au stress. Des facteurs psychologiques peuvent également jouer un rôle, notamment le perfectionnisme ou l’hyper-investissement professionnel, qui peuvent mener à un surmenage et à un épuisement.
#2 Les facteurs organisationnels
Ils sont liés à la structure et à la culture de l’entreprise. Il s’agit par exemple des conditions de travail (horaires de travail irréguliers, charge de travail excessive, mauvaise ergonomie sur le poste de travail), du style de management (autoritaire ou trop délégatif), de la communication interne (opaque, rétention d’information, incertitude), du climat social (relations conflictuelles, manque de solidarité, ambiance de travail froide ou impersonnelle, isolement) ou encore des politiques de ressources humaines (manque de formation et de perspectives de carrière, mobilité forcée, insécurité de l’emploi).
#3 Les facteurs liés au travail
Ces facteurs concernent la nature même du travail réalisé. Des tâches monotones, répétitives ou dangereuses, un manque de contrôle sur son travail, une pression temporelle constante, des objectifs flous ou contradictoires, un manque de sens ou de reconnaissance du travail ou encore une responsabilité excessive peuvent tous contribuer à l’usure professionnelle.
Le cadre légal de l’usure professionnelle en France
Le concept spécifique de l’usure professionnelle, en raison de sa complexité et de son caractère multidimensionnel, a mis du temps à se cristalliser dans le droit du travail. Des avancées ont toutefois été réalisées ces dernières années, reflétant une prise de conscience croissante de ce problème.
La notion d’usure professionnelle n’est pas directement mentionnée dans le Code du travail, mais plusieurs dispositions légales et réglementaires s’y rapportent indirectement. Par exemple, les entreprises ont une obligation générale de sécurité et de protection de la santé physique et mentale de leurs salariés (article L4121-1 du Code du travail), qui s’étend à la prévention de l’usure professionnelle. Aussi, les maladies professionnelles, qui sont souvent le résultat de l’usure professionnelle, sont reconnues et indemnisées par le système de sécurité sociale.
Dans la pratique, la notion de risque professionnel s’est élargie pour englober des phénomènes comme le burn-out, le bore-out (l’ennui au travail) et le brown-out (la perte de sens du travail), qui sont toutes des formes d’usure professionnelle. Bien que leur reconnaissance comme maladies professionnelles ne soit pas encore à l’ordre du jour en France, cette évolution marque une prise de conscience importante de la complexité et de la gravité de l’usure professionnelle par les professionnels des RH, les médecins du travail mais aussi certains décideurs politiques.
De nombreux accords de branche ou d’entreprise abordent spécifiquement la question de l’usure professionnelle, notamment dans les secteurs à risque comme la santé, la construction ou l’industrie. Ces accords peuvent mettre en place des mesures spécifiques, notamment des formations, des aménagements de poste ou des dispositifs de soutien psychologique. Quelques exemples :
- Accord-cadre européen sur le stress au travail (2004) : signé par la Confédération européenne des syndicats (CES) et les représentants des employeurs au niveau européen, cet accord encourage les employeurs à identifier les problèmes de stress au travail et à y répondre ;
- Accord de branche dans le secteur hospitalier français (2019) : cet accord prévoit des mesures spécifiques pour prévenir l’usure professionnelle, notamment des formations sur le risque psychosocial, des dispositifs de soutien psychologique et des aménagements de poste ;
- Accord chez France Télécom (aujourd’hui Orange, 2013) : après une série de suicides de salariés, l’entreprise a signé un accord pour améliorer la santé mentale et prévenir le stress au travail. Cet accord comprenait des mesures pour améliorer le soutien managérial, le suivi des salariés et la communication interne.
La réforme globale des retraites de 2023 a mis en place un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle au sein de la Caisse nationale de l’Assurance maladie. Chaque année, un arrêté viendra déterminer le montant de la dotation de la branche Accidents du travail et maladies professionnelles du régime général du fonds. Ce dernier a pour objectif de participer au financement par les entreprises des éléments suivants :
- Actions de sensibilisation et de prévention ;
- Actions de formation éligibles au CPF ;
- Actions de reconversion et de prévention de la désinsertion professionnelle à destination des salariés particulièrement exposés aux risques professionnels.
⚠ Nouvelles législations récentes sur l’usure professionnelle : Depuis le début de l’année 2024, de nouvelles lois ont été mises en place pour mieux encadrer et prévenir l’usure professionnelle :
- Loi pour la prévention de l’usure professionnelle (2024) : Cette loi impose aux entreprises de plus de 50 salariés de réaliser annuellement un audit de l’usure professionnelle et de mettre en place un plan d’action spécifique pour prévenir ce phénomène.
- Renforcement des droits à la formation (2024) : Les salariés exposés à des risques élevés d’usure professionnelle disposent désormais de droits renforcés à la formation continue, permettant des reconversions ou des adaptations de poste.
- Création d’un observatoire national de l’usure professionnelle : Cet organisme indépendant a pour mission de suivre et d’analyser les données relatives à l’usure professionnelle, de promouvoir les bonnes pratiques et d’émettre des recommandations aux pouvoirs publics et aux entreprises.
- Amélioration des dispositifs d’alerte et de signalement : Les entreprises doivent mettre en place des systèmes anonymes et accessibles de signalement des situations d’usure professionnelle, garantissant une prise en charge rapide et adéquate des cas signalés.
Ces dispositions légales et accords sectoriels montrent l’engagement croissant des entreprises et des institutions dans la lutte contre l’usure professionnelle, en reconnaissant son impact sur la santé des salariés et la performance globale des organisations.
Comment prévenir l’usure professionnelle dans l’entreprise ?
Pour prévenir l’usure professionnelle, l’entreprise doit concevoir et mettre en œuvre une politique globale qui tient compte des spécificités du secteur d’activité, de la taille de l’entreprise, de la diversité des métiers exercés au sein de l’entreprise et de la culture organisationnelle existante.
Analyser l’existant et déployer les bonnes pratiques
Il s’agira dans un premier temps d’investir dans une connaissance précise et actualisée des conditions de travail et des expositions professionnelles. Cela passe par la réalisation d’évaluations régulières des risques psychosociaux, qui devraient permettre d’identifier non seulement les sources de stress chronique et de tension au travail, mais aussi les ressources et facteurs de soutien disponibles. Ces évaluations doivent s’appuyer sur des méthodes rigoureuses et impliquer l’ensemble des salariés afin de recueillir une information fiable et complète.
Ensuite, l’entreprise doit se donner les moyens de contrôler et d’améliorer les conditions de travail. Cela implique notamment de repenser l’organisation du travail pour permettre une meilleure répartition de la charge, favoriser la coopération entre les salariés et donner aux collaborateurs une plus grande autonomie et une plus grande marge de manœuvre dans leur travail. Il peut également être utile de mettre en place des mesures pour favoriser la reconnaissance du travail bien fait, encourager la participation des salariés aux décisions qui les concernent et développer une culture de communication ouverte et respectueuse.
Le volet de la santé et du bien-être est décisif, et il passe par la mise en place d’un suivi médical adapté permettant de repérer et de prendre en charge précocement les signes d’usure professionnelle. Il s’agit également de déployer des actions de prévention et de promotion de la santé au travail, notamment des formations, des ateliers ou des campagnes de sensibilisation.
Détection de l’usure professionnelle : le rôle des managers
Les managers doivent être formés pour détecter les premiers signes d’usure professionnelle auprès de leurs collaborateurs (et éventuellement à leur niveau également).
En premier lieu, le manager doit rester attentif aux variations dans les performances et le comportement de ses collaborateurs. Une baisse notable de la productivité, une qualité de travail en diminution, une hausse des erreurs ou des accidents peuvent être des signes d’usure professionnelle. De même, des changements dans l’attitude ou le comportement du collaborateur comme un désengagement, une irritabilité accrue, une augmentation de l’absentéisme ou une attitude défaitiste peuvent être révélateurs.
Le manager doit également connaître et comprendre les symptômes de l’usure professionnelle qui peuvent être physiques (fatigue chronique, troubles du sommeil, maux de tête, douleurs musculaires), psychologiques (anxiété, dépression, irritabilité, difficulté de concentration) ou comportementaux (isolement, cynisme, comportements d’évitement).
Cela dit, la détection de l’usure professionnelle ne doit pas se limiter à une simple observation des symptômes. Elle doit s’accompagner d’une démarche d’écoute active et de dialogue afin de comprendre les sources de stress au travail, les difficultés rencontrées par le collaborateur et ses ressources pour y faire face. Le manager doit se montrer ouvert, disponible et compréhensif, tout en respectant les limites de la relation professionnelle.
Il doit également veiller à ne pas porter de jugement hâtif ou stigmatisant sur le collaborateur en situation d’usure professionnelle… cette dernière étant le résultat de conditions de travail difficiles et non d’une faiblesse ou d’une inaptitude individuelle. Le manager doit se positionner en tant que soutien et non en tant que juge.
Preventech Consulting vous accompagne
Dans un contexte socio-économique compliqué, l’usure professionnelle s’inscrit à la croisée des chemins entre la pénibilité, la dégradation de la santé au travail et le vieillissement de la population.
Vous avez identifié des problèmes liés à l’usure professionnelle dans votre entreprise ? Ou peut-être souhaitez-vous agir en prévention pour préserver le capital humain et la compétitivité de votre entreprise ? Qu’il s’agisse de répondre au cas particulier d’un collaborateur ou de lancer un projet plus global, Preventech Consulting déploie une démarche à 360°, fruit de notre expertise de plus de 19 ans dans les stratégies et les actions collectives et individuelles au service de la Santé et de la Qualité de Vie au Travail. Discutons de votre besoin.