Monotonie et répétitivité.
Voilà ce que pouvait promettre le modèle taylorien du travail. Né dans les années 1880, l’Organisation Scientifique du Travail (OST) visait, par une analyse rigoureuse du mouvement, l’optimisation de la gestuelle des opérateurs.
On pourrait penser que l’OST, qui impliquait un travail monotone et répétitif, était grand pourvoyeur de Troubles MusculoSquelettiques. Pourtant, selon Bourgeois et Hubault (2005), les opérateurs ont su tirer des contraintes du taylorisme des ressources pour se prémunir d’affections périarticulaires. Les médecins du travail parlaient de « schizophrénie » ; Les sociologues préféraient parler de « rêverie des os » pour évoquer la capacité des opérateurs à s’évader de la situation de travail, à automatiser leur gestuelle et à travailler sans réellement être là .
Cette « rêverie des os » entre en congruence avec :
- d’un côté, l’expérience Hawthrone : en 1932, Elton Mayo démontre l’existence d’un facteur humain. C’est-à -dire l’importance de la subjectivité des salariés, de leur perception de leur situation de travail, y compris dans la construction ou la dégradation de leur état de santé au travail,
- de l’autre, avec les données physiologiques : durant l’apprentissage du geste, l’opérateur teste une variété de mouvement jusqu’à sélectionner et retenir l’enchaînement optimum. Une fois sélectionné, l’opérateur inhibe les autres gestes. Le cerveau atteint un plateau de saturation. Grâce à la plasticité neurologique, l’enchaînement gestuel est conservé dans les structures sous cortical. Son activation est plus rapide et moins énergivore. Le geste devient « un automatisme ».
Bien que critiqué par Chaplin (1936) dans le film « Les Temps Modernes », bien que vilipendé par les ouvriers dans les années 1960, c’est une contrainte socio-économique qui sonnera le glas du taylorisme : l’OST vise la production de masse, mais la nécessite de personnaliser la production, de travailler sur des séries de plus en plus courte démontre les limite du taylorisme.
Les organisations dites « post-taylorienne » s’attaqueront à la monotonie du travail, en introduisant la rotation des postes, l’enrichissement des tâches. Bourgeois et Hubault (2005) expliquent que si ces nouveaux modes d’organisations ont su effectivement réduire la monotonie du travail, elles n’ont pas remis en cause la répétitivité du travail. Elles sont ainsi progressivement supprimer une ressource dont disposaient les opérateurs, en les empêchant de s’échapper de la situation de travail. De fait, à partir des années 70 à 80, le nombre d’affections périarticulaires va commencer à croître de manière importante.
A travers l’exposé de « La Rêverie des Os », nous illustrons l’idée que dans les situations de travail, les opérateurs recherchent des ressources leur permettant de faire face (ici en « s’évadant ») aux contraintes du poste. Ces ressources, imaginées, construites, mobilisées, par les opérateurs, ne peuvent prendre place que dans un système où ces derniers disposent de marges de manœuvre suffisantes. Elles peuvent être plus ou moins efficace et prendre des formes techniques (détournement d’un outil par exemple), organisationnelle (le « fini/parti ») ou cognitive, comme la rêverie des os et l’automatisation du geste.
Dans notre prochain carnet de recherche, nous nous proposons d’étudier l’automatisation du geste. Nous verrons comment cette automatisation prend place et pourquoi un geste automatisé est « économique » pour l’opérateur. Et nous aborderons une approche cognitive des TMS.