À l’occasion de la journée mondial des droits de l’homme : parlons de la discrimination des personnes présentant une maladie chronique.
Dans un monde du travail en constante évolution, la santé – qu’elle soit physique ou mentale – prend une place de plus en plus importante dans les discussions au sein des entreprises. Pourtant, si l’attention portée à la santé des employés progresse, personne n’est à l’abri de la maladie, et l’état de santé reste, encore aujourd’hui, un facteur majeur de discrimination. À l’occasion de la Journée mondiale des droits de l’homme, qui célèbre cette année le 75ᵉ anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il est essentiel de s’attarder sur une problématique cruciale : la discrimination liée à l’état de santé dans le monde professionnel.
La Déclaration universelle des droits de l’homme : un cadre fondateur
Adoptée le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme établit les droits inaliénables de chaque individu. Elle garantit notamment, dans son article 23, le droit au travail dans des conditions équitables, sans discrimination, et à une rémunération conforme à la dignité humaine. Pourtant, ces principes fondamentaux sont encore loin d’être appliqués pour de nombreuses personnes, en particulier celles vivant avec une maladie chronique.
En France, cette protection est renforcée par des lois spécifiques visant à lutter contre la discrimination, notamment celles liées à l’état de santé.
Discrimination dans l’emploi : Elle se définit comme le traitement défavorable d’une personne, fondé sur des critères interdits par la loi, tels que l’état de santé, le handicap, ou encore l’origine. Ce traitement peut affecter l’accès à l’emploi, les conditions de travail ou les opportunités de carrière.
Harcèlement discriminatoire : Selon la loi, il s’agit de « tout agissement lié à un motif prohibé, subi par une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »
Les 10 critères de discrimination les plus fréquents en France
Le 16ᵉ baromètre des discriminations dans l’emploi révèle les principaux motifs de discrimination perçus dans le monde du travail :
- État de santé, handicap : 24 % des actifs concernés.
- Âge : 20 %.
- Nationalité, origine, couleur de peau : 19 %.
- Fait d’être une femme : 16 %.
- Apparence physique : 13 %.
- Situation familiale : 11 %.
- Opinions politiques, activités syndicales : 10 %.
- Quartier d’habitation : 9 %.
- Précarité économique : 8 %.
- Pratiques culturelles ou religieuses : 7 %.
Parmi ces critères, l’état de santé constitue le premier facteur de discrimination, illustrant une réalité alarmante pour les travailleurs atteints de maladies chroniques. Les discriminations au travail prennent de multiples formes : rejet à l’embauche, absence d’aménagements adaptés, stigmatisation ou encore harcèlement discriminatoire. Ces pratiques violent les droits fondamentaux et sont contraires aux valeurs d’égalité et de dignité humaine consacrées par la Déclaration universelle.
La maladie chronique – de quoi parle-t-on ?
Les maladies chroniques, définies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), regroupent des affections de longue durée, évoluant lentement et nécessitant une prise en charge sur plusieurs années. Par exemple : maladies non contagieuses ( diabète, asthme, maladies cardiovasculaires, cancers), maladies contagieuses (VIH-Sida, hépatites), maladies rares (mucoviscidose, myopathies), troubles mentaux (dépression, anxiété chronique, psychoses).
Ces maladies partagent deux caractéristiques majeures : une durée prolongée et un impact significatif sur les différentes sphères de la vie sociale et professionnelle. En France, depuis la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, les maladies chroniques sont reconnues comme un handicap, offrant aux travailleurs concernés un accès aux aides et dispositifs dédiés.
L'impact des maladies chroniques au travail
En 2019, environ 15 % des actifs étaient concernés par une maladie chronique, un chiffre qui pourrait atteindre 25 % d’ici 2025 selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Pourtant, seule une minorité des personnes concernées (2,7 millions) a fait reconnaître administrativement son statut de travailleur handicapé. Cette faible reconnaissance limite l’accès aux dispositifs d’accompagnement adaptés.
Une personne active sur dix déclare avoir été témoin de discrimination ou de harcèlement discriminatoire lié à l’état de santé et/ou au handicap au cours de son parcours professionnel. Les discriminations liées à l’état de santé se manifestent à divers moments :
- Retour après un congé maladie : 30 % des cas.
- Demandes d’évolution de carrière : 30 %.
- Demandes d’aménagements de poste : 26 %.
Les personnes atteintes de maladies chroniques identifient principalement la direction de leur organisation comme auteurs des discriminations subies (51 % des cas signalés), suivie par leur supérieur hiérarchique (43 %) et leurs collègues de travail (34 %). Ces proportions sont comparables à celles rapportées par l’ensemble des actifs ayant vécu une discrimination, sans différences statistiques significatives.
Face à des discriminations ou du harcèlement discriminatoire, les réactions des victimes varient entre démarches informelles et recours institutionnels, mais le silence reste également fréquent. Les actions les plus courantes sont informelles, telles que discuter de l’incident avec un proche ou des collègues. Néanmoins, 23 % des victimes préfèrent ne rien dire, soulignant le poids du silence dans ces situations. Ce pourcentage demeure stable quel que soit l’état de santé des victimes ou le motif de discrimination.
Le rôle du travail dans la gestion des maladies chroniques
Pour un quart des actifs souffrant de maladies chroniques, maintenir leur emploi constitue un levier d’amélioration de leur santé. Cela s’explique notamment par la possibilité de s’éloigner de la charge mentale associée à la maladie et aux préoccupations qu’elle engendre. Les recherches montrent que cette perception varie en fonction de l’ancienneté dans l’emploi, de la satisfaction au travail, de l’implication professionnelle et du sentiment de « sécurité au travail ». Ce dernier englobe des aspects tels que la reconnaissance professionnelle, la solidarité et la bienveillance des collègues, ainsi que le soutien apporté par la hiérarchie.
La peur de divulguer sa maladie
Malgré les protections légales, de nombreux malades hésitent à informer leur employeur de leur état de santé. Seuls 50 % des travailleurs malades en parlent à leur supérieur, et parmi ceux qui choisissent de se taire, 40 % craignent des répercussions négatives ou un changement d’attitude de leurs collègues. Cette peur du stigmate est accentuée par l’invisibilité de nombreuses maladies chroniques. En effet, 80 % de ces maladies sont invisibles et se caractérisent par une alternance entre périodes de crises et périodes de rémission, ce qui rend difficile la compréhension de leur impact par l’entourage professionnel.
Vers un monde du travail plus inclusif
Face à ce constat, que pouvons-nous faire pour que le monde du travail cesse d’être un lieu d’exclusion pour les personnes malades ? La réponse ne réside pas uniquement dans les lois, même si elles restent essentielles. Elle repose aussi sur un changement profond des mentalités et des pratiques.
D’abord, il faut parler. Parler des maladies chroniques, de leur diversité, de leur impact au quotidien. Former, sensibiliser, briser les tabous pour qu’aucune pathologie ne soit synonyme de stigmatisation. Ensuite, il est crucial de reconnaître et de valoriser la contribution des salariés atteints de maladies chroniques. Des aménagements adaptés, des horaires flexibles, une écoute bienveillante : autant de gestes qui, loin d’être extraordinaires, devraient devenir la norme. Car il s’agit avant tout de respecter la dignité humaine, au cœur de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Enfin, il est temps d’encourager une culture du dialogue. Trop de salariés préfèrent ne pas parler par peur des répercussions. Trop de managers ignorent les ressources disponibles pour accompagner ces situations. Créer un environnement de travail où la parole est libre et où chacun peut se sentir en sécurité, voilà l’objectif à atteindre.
Sources :
- Défenseur des Droits, & Organisation Internationale du Travail. (2023). 16e Baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi. https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/2023-12/ddd-OIT_etude_16e-barometre-discriminations-emploi_20231121.pdf
- Nations Unies. (1948). Déclaration universelle des droits de l'homme. https://www.un.org/fr/about-us/universal-declaration-of-human-rights
- ANACT. (2017). « 10 questions sur les maladies chroniques évolutives et les cancers au travail » .